Le "paradoxe du touriste" en Egypte
- Maîtriser Ses Pensées
- 31 déc. 2023
- 6 min de lecture

Voyager en Egypte sans entrer dans une pyramide est courant, bien que cela puisse sembler très étonnant au vu de la richesse historique et culturelle de ces monuments emblématiques. Comment se fait-il que l'emblème ultime de ce pays soit finalement assez peu visité?
L'Egypte est un pays qui fascine depuis toujours. Elle nous envoie des messages cryptés portés par des hiéroglyphes millénaires et des temples incrustés de symboles et de statues énigmatiques. Même sans voir une pyramide, ce pays offre une variété de sites touristiques, de paysages et d’expériences marquantes.
Le paysage de l’Egypte antique ressemble à celui d’aujourd’hui : avec le Nil, et un ruban de terres riches favorables à l’agriculture au bord du fleuve, et plus loin le désert. Le royaume d’Egypte s’étend au nord-est de l’Afrique, le long du Nil, un fleuve qui se jette dans la mer Méditerranée. Il est bordé au nord par la mer Méditerranée et au sud par le Soudan. A l’Ouest, il va jusqu’au désert de Libye et à l’Est jusqu’au désert arabique, puis la Mer Rouge.
Le Nil, son fleuve nourricier, traverse des terres arides et désertiques depuis le Caire jusqu'à Assouan, aux frontières du Soudan. Le majestueux désert du Sinaï impose ses montagnes de roches sur une péninsule bordant la frontière israélienne et baignant la mer Méditerranée au Nord et les coraux de la mer Rouge au Sud. Le Caire et Alexandrie trônent au Nord du Pays et tournent leur regard au loin vers les terres grecques et chypriotes.
Quand on visite l'Egypte, ce contraste vous saute rapidement aux yeux. On comprend vite qu'il y a plusieurs voyages à faire en un seul. On peut, bien sûr, profiter exclusivement des merveilles aquatiques de la mer Rouge qui continuent d'attirer les plongeurs du monde entier, sans que l'intérieur des terres ne piquent leur curiosité. Mais si on veut connaître l'Egypte, il faut diviser en deux son voyage dans les terres. Au début du périple, on atterrit traditionnellement dans la ville de Louxor, au centre du pays, pour embarquer sur une croisière au bord du Nil. La navigation est douce et lente. On prend le temps de contempler les felouques, petites embarcations à voile typique de cette région, on salue les enfants à l'eau et les Egyptiens qui s'en approchent. On admire aussi la beauté naturelle des paysages, la puissance du Nil permettant d'irriguer de longues langues de terres dont témoignent les palmiers en lisière, qui peinent pourtant à masquer les collines de pierres, brutes et arides. Mais surtout, bercé par les flots des âges, on entreprend un voyage dans le temps. On découvre les plus beaux temples archéologiques de l'Egypte antique à chaque halte, en commençant par le temple de Karnak, avec sa superbe allée de sphinx, le temple de Louxor, d'où nous vient l'obélisque de la place de la Concorde à Paris, le temple de Ramsès III, le temple de la pharaonne Hatchepsout, le temple à la gloire d'Horus dans la ville d'Edfou, avec ses hiéroglyphes colossaux gravés aux murs, ou encore le temple d'Abou Simbel à la frontière du Soudan, le temple le plus visité d'Egypte et connu pour ses splendeurs honorant le Pharaon Ramsès II et sa femme. A Louxor, on s’éloigne un peu et on part aussi visiter la vallée des Rois, sublime trésor qui cache les majestueux tombeaux de l'Egypte antique. Les plus grands Pharaons de l'âge du Nouvel Empire (1539-1075 av. J-C) y furent enterrés, de Toutankhamon et son masque en or massif au magnifique Ramsès II. C'est le firmament du faste égyptien qu'on admire dans ses mausolées souterrains creusés à même la roche : hiéroglyphes au couleurs chatoyantes et parfaitement conservées, scènes de guerres et d'amour narrées à l'or fin, mausolées en bois massif et recouverts de pierres précieuses. Les touristes se pressent pour découvrir ces merveilles et s'enivrer de l'onirisme presque enfantin qui rappelle les légendes perdues.
Et puis, après ces quelques jours de croisière hors du temps, on se rappelle que le symbole ultime de l'Egypte, ce sont les pyramides. On se soucie alors de quitter le pays sans avoir vu la Reine parmi les reines, la pyramide de Khéops. Sauf qu'elle se situe sur le plateau de Gizeh, près du Caire, et que c'est très loin de Louxor au Nord du Nil. La distance entre Louxor et le Caire est de plus de 500 km.
En règle générale, les circuits touristiques ne prévoient pas de passage au Caire. Si on visite le pays en une semaine, alors on s’en tient le plus souvent à la croisière sur le Nil. Si on prolonge le périple sur deux semaines, alors on privilégie plutôt la Mer Rouge pour agrémenter les visites culturelles juste achevées, assez éreintantes, d’un épisode de farniente bien mérité.
Seuls les plus intrépides donc, et les plus fortunés, choisissent de faire 1 heure d'avion ou 6 heures de route pour aller jusqu'au Caire et découvrir le plateau de Gizeh en bordure de ville.
C'est alors que le contraste prend tout son éclat. Tout change. L'histoire est moins belle à raconter. On voit moins de hiéroglyphes, moins de statues énigmatiques, moins de pierres précieuses. Pire, que du sable et de la pierre à Gizeh. Car après avoir roulé dans le dédale de cette ville incroyable, on aperçoit un terrain vague poussiéreux d'où surgissent au loin ces trois pyramides : Khéops, Khephren et Mykérinos. Les deux premières mesurent 150 mètres de haut et Mykérinos est un peu moins grande avec 66 mètres de haut. En tant que touriste, on est habitué à voir des photographies et des images de ces trois édifices qui apparaissent nettement en un seul regard, vues du ciel le plus souvent. Une fois sur le plateau de Gizeh, c'est très différent. Les distances ne permettent pas de les appréhender facilement toutes les trois, et il faut prendre du recul pour les voir surgir simultanément. On se demande alors : tout ça pour ça? Certes, il y a également le Sphinx à admirer, mais il est tout de même moins grand et moins impressionnant. Tout de même, on demande au guide si on peut visiter l’intérieur de la pyramide de Kheops, mais la réponse étonne. Oui, on peut la visiter, mais ce n'est pas forcément prévu dans la visite et puis, franchement, ça manque d'intérêt toutes ces pierres. A l'intérieur, c'est étroit et difficile d'accès. Pour parvenir à la chambre du Roi, il faut emprunter un long tunnel qui, en début de marche, est si bas qu'il ne permet pas de se tenir debout, il faut presque ramper. Et puis, la chambre du Roi est finalement assez déceptive car il y a peu à voir, seulement une pièce taillée dans le granite avec le reste d'un tombeau qui devait contenir le sarcophage du pharaon Khéops mais qui n'a jamais été retrouvé, la faute aux pilleurs à travers les âges.
En résumé, n'y allez pas, vous serez déçu. La grande pyramide est très austère et plus aucune relique n'y repose. Aucun hiéroglyphe. Vraiment rien à voir avec les splendeurs des temples du bord du Nil ou de la vallée des Rois. Allons plutôt maintenant faire une balade à chameau pour mieux les contempler de l'extérieur, puis au musée du Caire où vous retrouverez nos trésors nationaux ramenés de là-bas. Le masque de Touthankhamon y est !
En tant que touriste moi-même, j'ai été abasourdie par le manque de considération que portent les Egyptiens à cette merveille de l'humanité. Et puis, j'ai compris. Il manque une histoire à raconter. Impossible de narrer du mythe et de l'onirisme avec 2,5 tonnes de pierres de calcaire, des tunnels austères et impraticables, et des pierres de granite, certes impressionnantes par leur taille et leur précision, mais qui ornent une chambre du Roi complètement décharnée.
Comment peut-on détourner le regard de l'intérieur de la Grande Pyramide, qui reste tout de même, à ce jour, la plus grande et belle énigme du monde moderne? En effet, personne n'a encore réussi à nous expliquer exactement comment elle avait pu être construire, à quoi elle servait véritablement et encore moins à la reproduire fidèlement.
Ce « paradoxe du touriste » en Egypte révèle, selon moi, comment notre société moderne refoule les plus belles merveilles de son passé. Comme si l’intérieur de la pyramide de Khéops symbolisait notre inconscient et notre histoire, que nous refusons de comprendre ou même d’apprivoiser. Car oui, ce monument venu du tréfonds des âges nous en dit beaucoup et seuls quelques êtres courageux et éclairés osent la contempler et l’étudier avec un regard décomplexé, lucide et émerveillé.
La pyramide de Khéops, par sa complexité redoutable, dépasse tout ce qu’on peut imaginer dans sa conception et certainement dans son utilité. Je suis absolument convaincue qu’elle est l’héritage d’une civilisation perdue qui maitrisait des connaissances que nous ne parviendrons à comprendre qu’au prix d’un véritable sursaut de technologie et de conscience.



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